C’était en 2005. À ce moment, j’étais réd’ chef reportages au magazine Clin d’oeil. Je m’occupais aussi de la chronique cinéma, surtout parce que cela me permettait de voir des films avant leur sortie en salle (à la même époque, j’avais aussi une chronique dans une émission de télé à propos des voyages inspirés par le ciné). J’adorais me laisser prendre par surprise, complètement vierge de toute critique. C’est ainsi que j’ai été complètement chamboulée par des bijoux comme C.R.A.Z.Y. et The Constant Gardener.
Lors de la sortie de la suite de L’Auberge espagnole, Cédric Klapisch est venu faire la promo du film à Montréal. Vous vous en doutez: j’ai profité de l’occasion pour passer un moment avec lui. J’avais mille questions sur sa perception des voyages, des films, de l’amour… de la vie, quoi. Il avait alors mentionné l’idée d’un troisième film qui pourrait s’appeller Le Casse-tête chinois. Ma mémoire fait peut-être défaut, mais il me semble qu’il avait évoqué la possibilité d’un tournage au pays de Mao (ou alors, j’avais tiré mes propres conclusions à cause du titre?)… Il souhaitait aussi trouver un moyen de ramener le personnage de Judith Godrèche. Déjà, à ce moment, réunir des acteurs dont la carrière avait pris leur véritable envol après le premier opus représentait un sacré défi.
Comme plusieurs, j’ai un profond attachement au personnage de Xavier, avec qui j’ai de nombreux points communs (bienvenue dans le bordel de ma tête!). Ses compagnons de route ressemblent aux copains croisés au fil de mes pérégrinations. Encore ajourd’hui, les deux premiers films me tirent des larmes – là où la nostalgie frappe le plus fort.
Ce boulot chez Clin d’oeil aura été un hiatus de quelques mois. Pigiste dans l’âme, je suis, depuis, revenue à un mode de vie plus libre. Je «chronique» aujourd’hui principalement sur les voyages (et tout ce qui y est lié de près ou de loin).
Sorti en Europe au début de décembre, Le casse-tête chinois sera sur les écrans québécois seulement ce printemps (selon la rumeur). Le long métrage se déroule à New York et Judith Godrèche ne fait pas partie de la distribution. Je compte profiter de mon prochain passage en France pour me ruer au ciné…
En attendant de replonger dans l’univers de Xavier, je me suis amusée à relire l’entrevue qui avait été publiée dans le magazine suite à mon entretien avec le cinéaste. La voici, avec quelques extras.
***
Non, ce n’est pas une histoire d’entrevue qui décolle, avec un début et une fin. Il y a près de trois ans, j’ai vu L’auberge espagnole avec des copains mordus de voyage, quelques semaines après être revenue d’une année et demie d’errance en Asie. On a eu l’impression d’entrer dans l’écran et de faire partie de la bande. Ce film-miroir nous renvoyait en condensé les banalités du quotidien d’un «expat’», ces petits trucs qui font qu’on n’oubliera jamais ceux avec qui on les a vécus. Parce que voyager, c’est la vraie vie, mais avec un petit «plus». Un bordel pas possible, dans lequel émotions et sensations prennent le pas sur les comptes à payer et le ménage à faire. Trois ans plus tard, je me retrouve avec le «père» de ces personnages dans une salle aménagée pour les journalistes, au premier Festival international de film de Montréal…
MJ: Tout d’abord, je vous remercie de m’avoir évité une année de thérapie à mon retour de voyage!
CK: (Rires.)
MJ: Êtes-vous conscient de l’impact qu’a eu L’auberge espagnole chez nous?
CK: Je le vois en venant ici; mais aussi au Japon, en Russie et aux États-Unis. Les cinéphiles se sont identifiés aux personnages, même si c’est un film européen. C’est incroyable la quantité de gens qui sont venus me dire: «J’ai vécu la même chose!» Le nombre d’étudiants Erasmus a doublé l’année qui a suivi la sortie du film. Les gens s’y sont inscrits après avoir vu L’auberge espagnole. Cela dit, j’ai été impressionné par la popularité du film au Québec.
MJ: La première fois que j’ai vu Les poupées russes, j’ai été très fâchée contre vous. Je voulais que Xavier ait publié son premier roman. Pourquoi n’a-t-il pas trouvé d’éditeur?
CK: Ça aurait été terrible qu’il devienne un jeune écrivain à la mode à 30 ans. J’avais envie qu’il ait du mal. J’ai voulu qu’il ait les mêmes difficultés que tout le monde.
MJ: Son côté un peu loser, qui faisait qu’on s’identifiait à lui dans L’auberge…
CK: Oui.
MJ: Quand on voit la suite d’un film qu’on a autant aimé, il y a forcément un décalage par rapport à ce qu’on avait imaginé. Le côté «rêve» est très différent: dans le premier film, on voit Xavier retrouver les siens; dans le deuxième, il affronte la réalité.
CK: Je suis parti d’une phrase de Bruno Bettelheim, qui a écrit Psychanalyse des contes de fées; il dit que, dans un premier temps, il faut qu’un enfant rêve et croie à des choses impossibles; c’est le but des contes. Dans un deuxième temps, pour grandir, il faut que l’enfant arrête de rêver. Il explique que c’est bien qu’un petit enfant croie au père Noël, et qu’un de 10 ans n’y croie plus; les deux étapes sont importantes. Dans L’auberge espagnole, on dit qu’il faut poursuivre ses rêves; dans Les poupées russes, on explique qu’un jour, il faut arrêter de rêver et qu’on doit commencer à gérer la réalité. La vie, ce n’est pas choisir entre les deux, c’est trouver une harmonie entre ces pôles.
(NOTE 2013: je brûle d’envie de demander au réalisateur ce qu’il en est du troisième opus…)
MJ: Et c’est quoi un rêve, pour Cédric Klapisch?
CK: C’est de continuer à faire du cinéma. J’ai aussi des rêves politiques. Comme n’importe qui, j’aimerais qu’il y ait moins d’injustice, de disparités sociales dans mon pays et dans le reste du monde, moins de racisme… Je sais que ces souhaits ne se réaliseront jamais, mais ça ne m’empêche pas d’espérer.
MJ: Pourquoi pensez-vous que L’auberge espagnole et Les poupées russes connaissent autant de succès?
CK: L’emprise du cinéma américain est si forte aujourd’hui que tout ce qui échappe à ce genre formaté – les films d’action et les histoires d’amour – pique la curiosité. J’ai l’impression que les gens sont sensibles à une proposition qui ne soit pas «anti-public», complètement bornée et incompréhensible. Ils sont surpris de se retrouver devant un film qui sort des sentiers battus.
MJ: Ça ressemble à la vie, justement. Il n’y a rien de linéaire.
CK: Je refuse le formatage du cinéma américain. La vie est loin de cette image de happy end, du couple qui s’embrasse au soleil.
MJ: Le personnage qui colle le mieux à ces clichés, dans Les poupées russes, c’est William. Ça m’a étonnée et séduite que ça passe par un homme plein de préjugés.
CK: Je crois que la vie est sans règles. Il arrive des choses à peine croyables à des gens, et on se dit: «Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse connaître ça!» La vie, c’est bordélique. J’aime mieux parler de ça que d’évidences.
MJ: Le fait que Martine devienne altermondialiste, était-ce une évidence?
CK: Disons que l’opposition de Xavier et de Martine m’intéressait. On vit une génération assez incroyable. J’ai deux enfants de 5 et 7 ans et, dans mon milieu, quand on est un père — en France, du moins —, on change les couches, on va au jardin d’enfants avec la poussette… Les hommes de la génération de mon père ne faisaient pas ça. J’ai l’impression qu’on est des aliens; on teste quelque chose qui n’a jamais existé auparavant. Que Xavier se retrouve avec l’enfant de Martine et qu’elle aille s’occuper du reste du monde, pour moi, c’est un nouveau conflit. Les femmes sont plus «dans la vie du monde» que les hommes. Ulysse est allé parcourir le monde et Pénélope est restée à la maison; aujourd’hui si les choses ne s’inversent pas, en tout cas, il y a échange. C’est ce que je voulais montrer.
Un autre truc que je remarque chez les femmes, c’est leur intérêt pour le bénévolat, l’humanitaire, la politique… J’ai l’impression qu’elles ont besoin de donner un sens à leur vie en aidant les autres. En réaction à «ne pas rester chez soi» et ne pas être une femme au foyer. Le côté infirmière n’est plus lié au foyer, mais au monde.
MJ: Et l’amour dans tout ça?
CK: C’était important pour moi que ce film — qui est un portrait de femmes, puisqu’il ne parle que de femmes, celles que côtoient Xavier — soit un film sentimental pour hommes, malgré tout. Il raconte les sentiments d’un homme, la vision d’un homme. En général, ce genre de film s’adresse aux femmes. J’ai voulu montrer à quel point les hommes s’intéressent à ça. J’ai l’impression que les hommes ont envie de vivre des histoires d’amour et qu’on leur raconte des choses sur l’amour.
MJ: Sauf que plutôt que de chercher LA «princesse charmante», ils en chercheront plusieurs.
CK: Je pense que tous les hommes ont déjà tripé sur les mannequins. Ça fait partie du «travail» de chaque mec de voir si c’est une voie intéressante pour lui. Je pense que tout le monde tombe dans le panneau. (Rires.)
MJ: Tout le monde?
CK: Oui, puisqu’on est nourri par ces images. On a envie de connaître des mannequins. Mais après, on se rend compte que, si c’est joli à regarder en photo, dans la vie de tous les jours…
MJ: La scène du train – dans laquelle l’amoureuse de Xavier (je ne dévoilerai pas qui c’est, pour celles qui n’ont pas vu le film) pleure parce qu’elle sait qu’il va en retrouver une autre – je pense que toutes les filles ont vécu quelque chose de semblable, au moins une fois dans leur vie.
CK: Et les garçons aussi! Je pense que bien des mecs ont pris ce train-là et se sont retrouvés dans cette situation profondément ridicule parce que la fille les faisait rêver. On n’a, au fond, pas envie de tromper la personne qu’on aime. Le malaise de Xavier est partagé par les filles et les garçons qui regardent le film.
MJ: Tromper, «même si on n’en a pas envie»?
CK: Il y a un truc sur le côté insatisfait des hommes. On se dit: «On essaie une dernière fois.» J’ai parlé avec un garçon que je connais, une espèce de don Juan…
MJ: S’appelle-t-il Romain Duris? (Rires)
CK: Non, il est pas du tout comme ça! J’ai donc demandé à cet ami: «Serais-tu monté dans le train?» Il a dit: «Oui, mais ça aurait été la dernière fois!»
MJ: Comme pour le chocolat…
CK: (Rires.)
MJ: Ou l’amour, pour les femmes. Wendy aussi, au début du film, semble complètement «droguée» par son mec, d’une certaine manière.
CK: C’était important pour moi de dire que ce qu’on appelait avant le donjuanisme n’est plus réservé aux hommes. N’importe quelle femme de 30 ans a eu plus de trois hommes dans sa vie. Elle est tombée amoureuse, et elle va «retomber».
MJ: On sent à la fin une ouverture vers une troisième œuvre…
CK: Je verrai dans 5 ou 10 ans si ça en vaut le coup. J’adore les documentaires où l’on suit des gens à différents âges de leur vie. Je trouve que c’est une fonction intéressante du cinéma de montrer des personnes qui vieillissent et de voir leur parcours. Maintenant que je suis parti sur ce terrain, j’ai envie de continuer si toute l’équipe est d’accord.
MJ: Ces personnages ressemblent à des gens qu’on connaît et qu’on a envie de retrouver, comme de vieux amis. Vous, avez-vous envie de les retrouver?
CK: Oui, j’en ai envie! Grâce à l’histoire, aux personnages et aux acteurs. Retrouver Audrey Tautou, Cécile de France, Kelly Reilly et Romain Duris, c’est un plaisir. C’est vrai que ce sont des gens exceptionnels et des acteurs incroyables. Ce n’est pas un hasard s’ils sont tous devenus des stars entre les deux films. Le fait qu’ils s’entendent bien et qu’ils veuillent retravailler avec moi, je dois le cultiver.
MJ: Xavier réussira-t-il à publier son livre dans un troisième film?
CK: Je pense que oui! Ce serait bien qu’il y arrive à la quarantaine.
MJ: Et va-t-il rester avec…
CK: (Rires.) Ça, c’est la question que tout le monde se pose!
Vous pouvez me suivre sur Twitter, Facebook, Instagram, Google+ et YouTube.
2 Commentaires
Trop génial! On a vachement de points communs je vois, des chroniques sur les films qui inspirent les voyages, super, ça devait être super intéressant, j’aimerais trop voir ça!
Tu as trop de la chance d’avoir rencontré Cédric Klapisch, ce mec est génial, enfin je ne le connais pas mais à chaque fois que je vois un de ces films, je me dis génial, c’est le film que j’aurais voulu faire. Et pour te dire à quel point je te comprends: le fait de s’identifier aux personnages de l’Auberge espagnole. Imagine, ce film, je l’ai regardé en DVD, assise sur le canapé ou je faisais Erasmus en Espagne avec 5 de mes collocs! D’ailleurs lors de la scène où ils courent tous pour prévenir Wendy, on s’est tous regardé en disant: “vous aussi vous le feriez pour moi si ça arrivait” juste énorme!
En tout cas, super cette interview. Quant aux deux dernières questions, ahah, je ne te dis rien, tu verras ça très bientôt!
Chuuuuuuuut!