Boulot États d'âmes Réflexions

Confessions d’une journaliste-blogueuse voyage

10 mai 2013

wifiok

Il y a mille clichés associés au boulot de travel writer. Certains sont vrais. D’autres, complètement à côté de la plaque. Glamour, passer sa vie entre deux avions? Pas toujours… Quelques faits, en vrac.

1- J’ai toujours l’air en vacances, mais je ne le suis jamais (deux petites semaines de vraies vacances en cinq ans, pour tout vous dire). J’ai déjà vu cinq plages en un après-midi sans avoir le temps d’y tremper plus que mon gros orteil. Après m’être envoyé quelques banana mamas, il m’arrive de rentrer sagement dans ma chambre d’hôtel pour terminer ce texte que je devais rendre hier. Ou avant-hier…

2- Je suis constamment en carence de sommeil. Pendant un voyage de presse, on tente de nous faire voir le plus de choses en le moins de temps possible. Cela signifie souvent devoir se lever avant le soleil et rentrer à l’hôtel après minuit. Le décalage? Plus le temps passe, plus il m’est difficile de le gérer. J’ai essayé plusieurs trucs. Le plus efficace dans mon cas: traîner mon oreiller gonflable partout. Je grapille ainsi quelques minutes de sommeil ici et là, dans l’avion, le bus ou la voiture.

3- À l’hôtel, le WiFi fonctionnel et rapide est pour moi plus important qu’une vue à couper le souffle. Je ne supporte plus de passer des nuits à écrire dans les lobbys des hôtels, souvent le seul endroit où on arrive à se brancher. Quand il faut en plus payer, je serre les dents pour ne pas hurler.

4- Je préfère nettement un lit confortable dans une petite chambre qu’un matelas «moyen» dans une immense suite au décor de conte de féeOn oublie parfois l’essentiel, à force de vouloir en mettre plein la vue.

5- Souvent, nous passons plus de temps à visiter les hôtels qu’à contempler la vue croquée à la hâte entre deux rendez-vous avec des membres de la direction des établissements où nous logeons. Le superbe paysage qui vous fait tant rêver sur Instagram? Un instant fugace, souvent bien loin de l’état contemplatif qu’il inspire.

6- La question que je pose le plus souvent à mes hôtes? «Les gens “normaux” y ont-il accès?» Manière humoristique de savoir si ce plat fantastique qu’on vient de nous servir ou ce tour d’hélicoptère est inclus dans le forfait qu’on est en train de tester. On tente souvent d’impressionner les journalistes. Notre boulot, c’est d’abord de départager le vrai du flafla. Pas toujours si évident.

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7- Je dors dans des suites que je n’aurai jamais les moyens de me payer (mais d’autres les ont – je ne l’oublie pas non plus). Il m’arrive encore parfois de loger dans des auberges de jeunesse pour l’atmosphère qui y règne. Ne le dites surtout pas à ceux qui auraient envie de m’inviter à me glisser dans les draps de coton égyptien de leur palace, toutefois. Inévitablement, j’ai développé un certain goût pour le luxe. Un esprit plus critique, aussi. Mais peu importe le nombre d’étoiles d’un établissement, j’apprécie d’abord l’accueil, l’ambiance et la propreté. Remarquez, je ne rechigne pas quand on dépose du chocolat sur mon oreiller le soir venu. 😉

8- Il y a une certaine hiérarchie dans l’attribution des chambres et autres privilèges, en voyage de presse. L’exemple le plus flagrant est entre les équipes de télévision et les «simples» membres de la presse écrite, lors de gigaévénements rassemblant des médias des quatre coins de la planète. Je me souviendrai toujours, aussi, de l’immense suite dont avait hérité une collègue anglaise alors que moi, je me suis retrouvée dans une chambre standard (géniale, mais tout de même, l’écart était saisissant). Lors d’un autre voyage, alors qu’on avait promis à tous les journalistes et blogueurs une visite au spa, une seule a pu finalement en profiter: la même journaliste britannique (qui est malgré tout devenue l’une de mes meilleures amies au fil du temps!). Le marché québécois n’est pas prioritaire pour tous, disons. De la même manière, aucun relationniste ne l’avouera, mais nous savons tous que certains journalistes de grands médias sont plus chouchoutés que d’autres…

9- Le tourisme est une spécialisation. Il faut du temps pour comprendre les rouages de cette industrie et avoir la perspective nécessaire pour écrire des papiers nuancés (je suis d’ailleurs encore en plein apprentissage – je dis toujours qu’il faut un bon bagage de vie en plus d’une culture générale pour faire ce boulot). Ça M’ÉNERVE que n’importe qui s’auto-proclame journaliste en tourisme. J’ai par ailleurs récemment été membre du jury d’un prix de journalisme. La majorité des textes soumis en tourisme n’avaient clairement pas été pensés pour cette catégorie. Comme si parce qu’un papier porte sur l’économie d’un pays – un «vrai» sujet sérieux, hein -, il a plus des chances de remporter la palme qu’un autre qui présente seulement ses attraits touristiques. J’étais carrément insultée en lisant certains articles. Le journalisme touristique exige la même rigueur et les mêmes réflexes que n’importe quel autre domaine. Ce qui distingue un auteur d’un autre? L’originalité de son angle et sa recherche, bien sûr, mais aussi son regard. Plus que dans n’importe quelle autre section, la plume et la personnalité de l’auteur font une différence (du moins, c’est mon humble avis).

10- Porter le double chapeau de journaliste et de blogueuse n’est pas simple. Plusieurs relationnistes ne savent pas dans quelle catégorie me caser. Je passe de l’un à l’autre constamment. Du web au papier, de la radio à la télé, aussi. Ça m’agace qu’on tente absolument de m’étiqueter. Je revendique le droit d’être multiple… et unique (oui, j’ai un ego moi aussi).

11- Non, personne ne me paie pour voyager. Quand je suis sur la route, je ne gagne pas d’argent. C’est en vendant mes reportages et mes billets que je suis rémunérée (et c’est rarement mirobolant). J’ai la chance d’avoir des clients réguliers et extraordinaires, comme MSN, avec qui je travaille depuis 2009. Sur le blogue EnTransit.ca, j’ai la liberté d’écrire sur n’importe quel sujet (ou presque).  (MÀJ: MSN a pris la décision de «tuer» tous ses blogues, dans tous les pays, sur tous les sujets, en novembre 2013.) Vous comprenez pourquoi j’ai besoin de WiFi maintenant? Je ne peux pas me permettre de perdre une semaine de salaire par mois (fréquence à laquelle je voyage approximativement depuis trois ans).

12- Je fais quoi si je déteste un endroit? Bonne question. Comme je suis invitée, c’est délicat. Quand mon impression est vraiment négative, je préfère ne rien écrire (ça m’est arrivé dans le cas précis d’un hôtel dont j’avais détesté chaque détail, alors que plusieurs collègues l’avaient aimé). Trasher pour trasher, pas mon truc. Je suis tout à fait consciente que souvent, c’est une question de perception. J’essaie de nuancer le plus possible. Mais une chose est sûre: vous ne me verrez jamais encenser un lieu que je n’ai pas sincèrement aimé.

13- On ne choisit pas nos compagnons de voyage (heureusement, plusieurs sont fantastiques et deviennent des amis). On passe aussi beaucoup de temps seul dans des chambres d’hôtel très romantiques.

14- Je mange beaucoup trop et je bois beaucoup trop. Ce métier va tous nous rendre obèses et alcooliques! Je le dis à la blague, mais il y a un fond de vérité. Pas étonnant qu’on soit (presque) tous accros au gym ou à la course. Il faut pouvoir brûler des calories même en voyage.

15- J’ai développé une foule de rituels, d’obsessions et de bizarreries au fil des années. Je ne pars presque jamais sans un sac de bonbons, que je déguste dans l’avion. J’inspecte systématiquement toutes mes chambres d’hôtel pour ne pas y trouver de bestioles indésirables (je peux cohabiter avec quelques araignées ou coquerelles, mais les punaises de lit, pas question!). Je mets des sachets de lavande dans ma valise pour chasser les insectes. Même si je ne parle que le français et l’anglais (et quelques phrases de chinois), il m’arrive de comprendre quand même des interlocuteurs parlant d’autres langues. Le body language aide, bien sûr, mais l’oreille aussi.

16- Au retour d’un voyage de presse, il me faut toujours un jour ou deux pour me réhabituer à la «vraie vie». Où est le buffet du petit déj’?

17- Le stress des aéroports? Parvenir à emmener ma fille à l’école à l’heure tous les matins m’angoisse beaucoup plus.

18- Sur une note plus anecdotique, Tourne la page joue constamment dans ma tête. Considérant que je prends l’avion une bonne vingtaine de fois chaque année, le ver d’oreille est tenace. Comme je l’écrivais sur Instagram plus tôt cette semaine, le plus dur reste encore de ne pas me mettre à exécuter les petits moves du clip chaque fois que je me trouve à YUL (lol).

(MÀJ 3 novembre 2015: Je réalise qu’il y a un moment que Tourne la page ne m’a pas hantée!)

19- Non, je n’ai pas peur du ridicule (mes partenaires de karaoké pourront vous le confirmer). Mais les danses à deux, je déteste. Par contre, oui, parfois, j’ai envie de jouer des scènes du genre pour décoincer les agents qui se prennent trop au sérieux à l’aéroport.

20- Je sais. Vraiment dure, ma vie. 😉

P.S.: Au cas où certains ne l’auraient pas compris, j’adore mon boulot. Mais la réalité est bien loin de l’image que plusieurs s’en font!

P.P.S.: Je n’arrête pas de faire des ajouts depuis la publication de ce billet. Il n’est pas impossible que j’en fasse d’autres au cours des prochains jours.

Sur des sujets similaires: Mon utilisation de la technologie en voyageMarcher sur des oeufs et Mes indispensables de voyage.

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11 Commentaires

  • Répondre Richard S-L 10 mai 2013 - 0 h 30 min

    Bonjour! Billet très intéressant! Merci pour ce revers du décor. Vous dites avoir été juge pour un concours de travel writer, quel était ce concours? Où pouvons nous lire les textes des gagnants?

    • Répondre Marie-Julie Gagnon 10 mai 2013 - 9 h 46 min

      Si j’ai soigneusement évité de le nommer, c’est que je ne veux mettre personne dans l’embarras.

  • Répondre Laurie 10 mai 2013 - 9 h 24 min

    La question qui tue : On fait comment pour devenir toi (ou acquérir assez d’expérience pour faire ce même métier)? J’ai un bacc en communication et évidemment, comme des millions de personnes, je rêve simplement de voyager avec la presse et d’écrire. Bref, je t’envie beaucoup!

    • Répondre Marie-Julie Gagnon 10 mai 2013 - 9 h 48 min

      Je mijote un billet sur le sujet, histoire de pouvoir envoyer le lien à tous ceux qui me posent la question plutôt que répondre individuellement… 🙂

  • Répondre Johanne Veilleux 10 mai 2013 - 14 h 44 min

    Très intéressant, ce billet. C’est vrai qu’en tant que lecteur, on imagine mal l’envers du décor. Tout a l’air tellement beau et facile ! La question «Les gens “normaux” y ont-il accès?» m’interpelle particulièrement… En vieillissant, j’ai un peu perdu le goût des voyages, parce que j’ai réalisé que pour vraiment apprécier un voyage, j’ai désormais besoin davantage qu’un billet d’avion et un lit pour dormir. J’ai besoin d’un peu plus : être capable de me payer telle ou telle randonnée, puis une douche chaude à la fin de la journée dans une salle de bain propre, être capable de me payer une soirée dans ce resto avec vue sur la mer, quelques drinks dans tel bar, ou encore des taxis plutôt que le transport en commun, un siège en 2e classe plutôt qu’en 3e (dans certains pays, ça fait toute la différence !)…

  • Répondre lowi29 12 mai 2013 - 10 h 51 min

    Moi qui travail comme guide touristique depuis plus de 20 ans maintenant j’ai été particuliérement touché par les point 13 et 14. A mes clients qui me disent : Vous vous ete toujours en vacance, je répond que que en vacance je suis habituellement accompagné de ma famille et mes amis, comme je ne vois personnes de ma famille et que mes amis ni sont pas , je ne doit donc pas être en vacance! 🙂

  • Répondre Geneviève 14 mai 2013 - 12 h 18 min

    Très intéressant comme billet ! Merci de partager ce point de vue qui fait aussi partie du voyage «chronique»!
    L’imaginaire rend souvent les choses plus magiques qu’elles peuvent l’être dans la routine du quotidien, quelque soit le quotidien !
    Même si on choisit un mode de vie et un métier qui nous comble, il arrive quand même que tout ne soit pas toujours «rose » ! Mais, ce revers peut être plus acceptable car relevant d’un choix de vie ! 🙂

  • Répondre Martine 30 mai 2013 - 4 h 28 min

    Il est très intéressant de pouvoir se rendre compte des “coulisses” de ce métier de journaliste un peu particulier, et qui semble pour le moins passionnant. Ce billet traitant plutôt des inconvénients d’être toujours sur la route, je me demandais s’il serait possible de lister les avantages d’un tel métier, qui j’en suis sûr sont nombreux ?!

  • Répondre Mali 17 février 2014 - 16 h 06 min

    Pour avoir déjà notamment effectué quelques voyages presse blogueurs, je comprends la frustration et l’énergie qu’il faut mettre ds les voyages presse. C’est super, on bénéficie parfois de priviléges de ouf, on mange bien, on est chouchoutés mais à côté, le rythme est souvent soutenu, lever tôt, coucher tard, nombreuses activités si bien qu’on a pas toujours le temps de profiter pleinement de certains privilèges (je me souviens notamment d’un hôtel spa dont j’ai pu à peine profiter de la piscine magnifique^^). Alors j’imagine qu’en faisant ça régulièrement, ça doit être “pénible” parfois de ne pas pouvoir dire “nan je viens pas ce matin je préfère profiter de l’hôtel et dormir” 🙂

    • Répondre Marie-Julie Gagnon 17 février 2014 - 16 h 27 min

      Pénible? Je n’irais pas jusqu’à dire ça. Mais il faut aussi voyager “normalement” de temps en temps pour “réapprendre la réalité”. 🙂

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