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Le monde, c’est aussi chez nous

20 novembre 2015

Je suis atterrée. Profondément déçue. J’ai honte, aussi. Je viens de voir les résultats d’un sondage réalisé au Québec à propos de l’accueil des réfugiés. J’ai le coeur en miette en découvrant que six Québécois sur dix sont contre l’accueil de réfugiés (seulement 27% des gens habitant hors de Québec et Montréal seraient pour, selon ce sondage!). Constater que «les miens» agissent exactement comme le souhaitent ces barbares me dévaste. La peur et la haine ne mènent nulle part. Et si c’était vous?…

«Pour résumer : plus les sociétés occidentales craindront leurs minorités musulmanes, plus elles les ostraciseront et les rejetteront, et plus elles fermeront les frontières aux nouveaux arrivants – et plus ceux-ci se radicaliseront et se tourneront vers l’islam extrême. C’est en tout cas ce qu’espère l’EI.» (Agnès Gruda, La Presse)

À ce sujet, l’auteure et illustratrice Elise Gravel a publié une image sur Facebook qui résume bien la situation post-attentats.

J’en ai marre des débats entourant la «compassion à géométrie variable», aussi. Marre de voir «les miens» se diviser alors qu’on devrait tous être en train de se serrer les coudes. Marre, mais surtout immensément triste de ne plus me reconnaître en vous. Que nous est-il arrivé?… 

Comme plusieurs, j’ai beaucoup de mal à écrire sur des sujets légers depuis vendredi dernier. Je recommence à peine à pouvoir travailler (quasi) normalement. Heureusement, le Salon du livre de Montréal me permet de faire d’extraordinaires rencontres avec les lectrices (et quelques lecteurs!) du Voyage pour les filles qui ont peur de tout (on s’y croise?). Parler de voyage, c’est parler d’ouverture. C’est le meilleur baume en ce moment. Ça, et serrer ceux que j’aime dans mes bras encore plus fort.

Un extrait de ma chronique d’Avenues de cette semaine:

Un week-end à lire, tout lire, trop lire. À écouter les nouvelles en continu. À tenter de comprendre. À me sentir si loin et si proche à la fois. À pleurer, aussi. Pleurer ces gens qui auraient pu être les miens. À serrer ceux que j’aime encore plus fort, pour tous ceux qui ne pourront plus enlacer les leurs. Un week-end sombre comme la fin du monde, qui m’a projetée 15 ans en arrière.

J’ai vécu le 11 septembre 2001 de loin, dans une petite ville taïwanaise. L’horreur, c’est d’abord à travers les mots de mes amis restés au pays que je l’ai vécue, dans un cybercafé rempli de gamers insouciants. CNN a pris le relais les heures qui ont suivies.

Je me souviens avoir été autant choquée par la couverture des Américains, qui donnaient l’impression d’avoir inventé le mot «souffrance», que par celle des Taïwanais, qui ont rapidement relégué le drame parmi les faits divers. Je n’avais plus de repères, moi, la Nord-Américaine-pas-états-unienne en Asie. J’avais du mal à saisir la portée réelle de ce film-réalité qui se jouait dans un autre univers. Les superhéros de CNN et les récits larmoyants qui passaient en boucle semblaient si irréels… Des événements grossis à la loupe, scrutés sous tous leurs angles, avec l’impression d’entendre toujours le même narrateur. Je ne pouvais m’empêcher de penser constamment à ceux qui hurlent leur agonie sans que quiconque ne daigne se retourner parce qu’ils vivent leur drame dans des coins du globe «qui n’existent pas».

Vendredi soir, j’ai pensé aux copains parisiens qui auraient pu avoir eu envie d’un bœuf à la citronnelle du Petit Cambodge ou d’un verre sur une terrasse. C’est sans doute ce que j’aurais fait par une si belle soirée. On l’a répété partout: le 11e arrondissement est un quartier où se retrouvent toutes les classes sociales. C’est la jeunesse qu’on a attaquée, celle qui mord dans la vie à pleines dents. «Les attentats de janvier ciblaient des gens qui représentaient quelque chose: dessinateurs / policiers / juifs, a écrit Titiou Lecoq le lendemain des attentats. Hier, c’était juste nous.»

J’ai pensé à ces tragédies qui se vivent en silence, aussi, mais sans ressentir de hargne cette fois. J’ai compris, au fil des années, qu’on ne choisit pas la hiérarchie des drames qui s’effectue en soi malgré nous. Un événement nous touche davantage qu’un autre pour mille et une raisons. La proximité et le sentiment d’identification, surtout. Ces Parisiens dans un spectacle rock, ç’aurait pu être nos frères, nos cousins, nos copains. Ç’aurait pu être nous. Cela ne veut pas dire qu’on ne ressent pas d’empathie pour les autres. Qu’on ne reconnaît pas l’ampleur de leurs catastrophes. On est seulement humains, avec tout ce que cela comporte de nuances et de contradictions.

La suite est ici.

(Photo de la une prise par Marie-Ève Vallières en octobre dernier.)

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